Marc-Antoine ANDREANI
SWIFT, basée en Belgique, est une société non cotée fonctionnant comme un consortium de banques et d'institutions financières à structure coopérative. Elle joue un rôle central en connectant un vaste réseau d'institutions financières de premier plan à l'échelle mondiale pour faciliter leurs transactions, tout en se positionnant comme une entité neutre et mondiale. C’est une structure économique et technique très légère, mais très pointue et experte. SWIFT ne gère ni comptes, ni fonds institutionnels et ne remplit pas de fonctions de compensation ou de règlement. Elle se contente d'envoyer plus de 40 millions de messages par jour.
Le réseau SWIFT est essentiel pour le commerce transfrontalier, car il permet aux entreprises d'un pays de garantir un paiement dans un autre pays : Par exemple, une entreprise européenne qui achète des produits américains doit utiliser le réseau SWIFT pour transférer des fonds d'une banque locale vers le compte bancaire du vendeur américain en utilisant les codes bancaires de SWIFT. Au total, la messagerie, les produits et les services de SWIFT relient actuellement plus de 11 000 organismes bancaires et boursiers, infrastructures de marché et entreprises clientes, qui échangent plus de 10,6 milliards de messages par an entre les pays.
Un réseau bancaire neutre, contraint de prendre parti dans des conflits géopolitiques :
Si les acteurs économiques et financiers ainsi que les autorités des pays émergents et des pays des Suds sont membres du réseau et bénéficient d’une place reconnue, Swift demeure par son histoire, sa géographie, son pilotage et son mode de gouvernance très largement dominé et contrôlé par les grands pays occidentaux avec, en premier lieu, les États de l’Union européenne et les États-Unis. Son rôle et sa place sont en effet trop stratégiques pour qu’ils s’en désintéressent. Ce poids des grands pays occidentaux permet à certains États, en premier lieu les États-Unis, d’utiliser Swift comme levier de géopolitique internationale, même si le réseau s’en défend. C’est ainsi que quatre États ont déjà été coupés du réseau Swift : la Corée du Nord, le Venezuela, l’Iran et plus récemment, la Russie.
Le réseau Swift a beaucoup de difficulté à garder sa neutralité et fut souvent contrainte de prendre parti lors de certains conflits. Ce fut le cas pour la première fois en Iran en 2012. Cette année, l’Europe avait mis en place certaines mesures qui interdisaient à Swift de fournir leurs services pour ralentir le plus possible le développement du programme nucléaire iranien. Après avoir levé ses sanctions, à la suite de l’accord PAGC, l’Union Européenne et SWIFT ont levé leurs sanctions à l’égard de l’Iran. Par la suite, le réseau bancaire a subi de nombreuses pressions qui l’ont obligées à rétablir ces sanctions en 2018. En effet, Swift s’est retrouvé prise en étau entre une pression américaine voulant la déconnexion des banques iraniennes du réseau Swift alors que l’UE souhaitait maintenir leur accord afin de poursuivre des accords commerciaux. Le réseau bancaire a finalement cédé à la pression américaine ce qui l’a obligé à bannir de son réseau la plupart des banques iraniennes.
Enfin, l'invasion menée par l'armée russe le 24 février 2022 a représentée l'escalade d’un conflit commencé́ en 2014 lors de la guerre de Crimée. C’est à partir du 12 mars 2022 qu’il fut interdit de fournir des services spécialisés de messagerie financière, pouvant être utilisés pour échanger des données financières avec la Russie, menant à l’exclusion du réseau de 7 des plus grosses banques russes.
Tout cela démontre également que, bien qu'étant une organisation neutre et indépendante qui connecte des milliers de banques à travers le monde, SWIFT, en considération de son rôle majeur dans le système financier mondial, est souvent soumise aux différentes pressions politiques des grandes puissances occidentales, notamment des États-Unis. La domination du dollar, l'importance du système financier américain et une interconnexion globale des marchés donnent aux États-Unis un pouvoir disproportionné sur des institutions comme SWIFT, soulevant des questions sur l'indépendance réelle de cette infrastructure cruciale pour l'économie mondiale.
La véritable efficacité des sanctions :
Il est difficile d’évaluer les dommages causés par le débranchement de la Russie du réseau SWIFT, car d’autres sanctions économiques et financières ont suivi à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Cependant, sur le court terme, le débranchement de certaines banques du réseau a réellement entravé les capacités de la Russie. Parallèlement, on se rend compte que sur le long terme ces sanctions n’ont pas eu un impact direct sur le régime russe et la poursuite de la guerre n’a pas été ébranlé par ces sanctions. Par ailleurs, il est aussi difficile de mesurer l’impact de ces sanctions sur la population mais il ne semble pas y avoir eu de mouvement de protestation des russes sur ces questions de pouvoir d’achat.
Cependant, il n’est pas dit que SWIFT deviendra une « arme géopolitique » pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les grandes puissances non-occidentales, comme la Chine et la Russie, créent leurs propres réseaux bancaires pour contourner SWIFT. Le système SPFS de Russie reste limité aux banques russes, mais le CIPS chinois s'étend déjà dans plus de 100 pays. Cette dynamique montre que nous tendons vers un monde multipolaire où chaque zone d’influence aura sa propre messagerie financière, autonome mais connectée aux autres. L'exemple de la guerre en Ukraine illustre bien cette tendance. En effet, par l'impact des sanctions et la réorganisation des échanges de la Russie avec des pays comme la Chine ou l'Inde, le développement de réseaux financiers alternatifs ont été favorisés.
La domination du dollar dans le commerce international, soutenu par la puissance américaine, suscite une opposition croissante, non seulement en Chine et en Russie, mais aussi en Europe. Les tensions transatlantiques, comme celles liées à la remise en cause de l'accord nucléaire iranien en 2018, ont montré une contestation de l'extraterritorialité des sanctions américaines. Si cela renforce les liens financiers entre les Occidentaux, il est difficile d’imaginer que SWIFT perde rapidement sa domination dans le monde occidental.
En fin de compte, l'usage de SWIFT dans les sanctions souligne l'importance des systèmes de paiement comme enjeu de souveraineté. À l'avenir, on pourrait voir des infrastructures financières aussi nombreuses que les zones d'influence, interopérables mais autonomes, reflétant la réorganisation géopolitique mondiale.
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