Hugues DE MASCAREL
Au vu de la complexité du sujet des cryptomonnaies, méconnu par la majorité des gens, les mots en gras dans le texte (le vocabulaire spécifique des cryptomonnaies) seront expliqués dans le glossaire en fin de texte.
L'élection présidentielle américaine de 2024 s'impose comme l'un des événements géopolitiques majeurs de la fin de l'année, et elle marque un tournant décisif dans la montée en puissance d'un sujet inattendu mais désormais incontournable : les cryptomonnaies. Alors que Kamala Harris et Donald Trump s'affrontent dans une course électorale très serrée, un nouveau facteur se glisse dans les discussions politiques, capable de bouleverser l’issue du scrutin : la place de la cryptomonnaie dans la société américaine et ses implications pour l'avenir économique et politique du pays.
En effet, au cours de l’année 2024, les cryptomonnaies se sont imposées dans les rouages de la politique américaine à travers une contribution financière massive aux campagnes électorales. Durant le premier semestre, les acteurs de l’industrie crypto ont fourni près de la moitié (43,5 %) des dons des entreprises aux Comités d'Action Politique (PAC), ces plateformes servant à financer des candidats. Le Fairshake PAC, financé en grande partie par ces mêmes acteurs, a orchestré des campagnes de communication très agressives lors des primaires, affectant directement le cours de certaines élections. Katie Porter, représentante démocrate de Californie, a vu sa candidature pour le Sénat lourdement impactée par une campagne financée à hauteur de 10 millions de dollars par Fairshake, mettant en avant sa proximité avec la sénatrice anti-crypto Elizabeth Warren. Bien que Porter n’ait jamais exprimé d’opposition claire aux cryptomonnaies, son alignement avec Warren a suffi à la placer dans le collimateur des lobbies pro-crypto, révélant l'influence grandissante de ces groupes.
La position des candidats sur la question des cryptomonnaies est devenue un enjeu clé, avec une polarisation de plus en plus marquée entre les deux camps. Le président sortant Joe Biden obtient une note de « D » selon le groupe pro-crypto Stand With Crypto, tout comme plusieurs autres figures démocrates. En revanche, Kamala Harris, candidate démocrate à la présidence, ne figure pas dans ce classement. Elle bénéficie même du soutien de personnalités influentes dans l’écosystème crypto, comme Chris Larsen, co-fondateur de Ripple Labs, qui a offert un don substantiel de 10 millions de dollars en XRP à sa campagne. Ce geste montre l’ambition de Larsen de voir la technologie blockchain et les cryptomonnaies dominer le futur paysage économique américain, une vision partagée par une partie des élites technologiques.
Donald Trump, quant à lui, a adopté une posture très favorable aux cryptomonnaies, même si cela semble davantage motivé par des considérations opportunistes que par de réelles convictions idéologiques. En 2021, Trump qualifiait encore le bitcoin de « fraude », se disant inquiet de son impact potentiel sur le monopole du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Toutefois, en 2024, son discours a radicalement changé. En mai, il a annoncé que sa campagne accepterait les dons en cryptomonnaies, devenant ainsi le premier candidat des deux grands partis à le faire. En mobilisant ce qu'il appelle sa «crypto army», Trump a renforcé ses liens avec un électorat libertarien et antisystème, particulièrement sensible aux thèmes du contrôle gouvernemental et de l’opposition aux banques centrales.
Cette stratégie s’est renforcée en juillet lors de la Bitcoin Conference à Nashville, où Trump a promis d’utiliser les bitcoins saisis par l’administration pour constituer une réserve stratégique pour l’État américain, une déclaration qui inscrit le bitcoin dans la vision d’un actif de réserve aux côtés de l’or. Cet engagement auprès de la communauté crypto s’appuie sur l'approbation récente des Exchange-Traded Funds (ETF) bitcoin par la SEC (Security and Exchange Commission) en janvier 2024, un tournant majeur pour l'industrie. Ces ETF, notamment celui de BlackRock, ont connu un succès fulgurant, avec des flux d'investissement dépassant les 125 millions de dollars par jour dans le mois suivant leur lancement. Le principal fond, BlackRock’s iShares Bitcoin Trust, a rapidement atteint plus de 10 milliards de dollars d’actifs sous gestion, illustrant l'appétit croissant des investisseurs pour les cryptomonnaies.
L'engouement pour les cryptomonnaies dépasse toutefois les cercles financiers. Chez les Républicains, la défense du bitcoin et des cryptos s’inscrit dans une rhétorique plus large anti-État et anti-régulation. Le bitcoin est perçu comme une monnaie décentralisée, hors de portée des banques centrales, une idée qui séduit un électorat déjà méfiant vis-à-vis des autorités gouvernementales. La rareté du bitcoin, limitée à 21 millions d'unités, renforce son attrait auprès des Républicains, pour qui l’or a historiquement représenté une valeur refuge. Cette méfiance à l’égard du contrôle étatique résonne particulièrement dans le contexte de l’inflation, alimentant un discours favorable aux cryptomonnaies comme alternative aux monnaies traditionnelles, dominées par les banques centrales.
Néanmoins, l’opinion publique sur les cryptomonnaies reste divisée. Si une enquête menée par la Digital Chamber en octobre 2024 révèle que 16 % des électeurs se considèrent comme faisant partie du « Crypto Voting Bloc » – un groupe d’électeurs pour qui la politique crypto des candidats influencera leur vote –, la majorité de la population reste incertaine sur la manière d’aborder ce sujet. L’enquête montre que l'électorat est partagé : un tiers pense que le Parti démocrate est plus favorable aux cryptos, un autre tiers pense que c'est le Parti républicain, tandis que le reste des électeurs ne se prononce pas. En somme, la question des cryptomonnaies n’a pas encore cristallisé un consensus clair, même si elle pourrait s’avérer décisive dans des États clés où chaque vote compte.
Cette nouvelle frange d’électeurs, surnommée les « crypto-bros », a émergé pendant la pandémie, alors que beaucoup se sont initiés au trading et aux technologies blockchain. Ce jeune électorat, peu politisé mais très mobilisé par la question des cryptomonnaies, représente une force montante que ni les démocrates ni les républicains ne peuvent ignorer. Bien que ce groupe reste minoritaire, il pourrait jouer un rôle déterminant dans les « swing states », ces États indécis qui déterminent souvent le résultat final de l’élection présidentielle. Des figures comme Perianne Boring, fondatrice de The Digital Chamber, estiment que le vote crypto pourrait faire pencher la balance en faveur d’un candidat, surtout dans une course aussi serrée que celle de 2024.
Au-delà de l'aspect financier, les cryptomonnaies incarnent également une forme de contre-culture numérique, antisystème et libertarienne, qui fait écho à la base électorale de Trump. Déjà en 2017, sa maîtrise des codes numériques et des réseaux sociaux lui avait donné un avantage stratégique, et cette capacité à exploiter les dynamiques numériques se retrouve aujourd'hui dans sa stratégie crypto. En utilisant des plateformes comme Fairshake PAC, il cible des segments d'électeurs souvent ignorés, particulièrement des jeunes et des minorités qui ont trouvé dans les cryptomonnaies une voie alternative d’émancipation économique.
En parallèle, les démocrates, bien que moins homogènes sur la question, commencent à s'y intéresser de plus près. Chris Larsen, en soutenant la campagne de Kamala Harris, incarne cette nouvelle alliance entre une partie de l’élite technologique et le Parti démocrate. Toutefois, cette collaboration est encore récente, et le Parti reste divisé entre une aile plus traditionnelle, méfiante à l'égard des cryptos, et une frange progressiste, séduite par les opportunités économiques qu’elles représentent.
Finalement, si la régulation des cryptomonnaies n'est pas encore clairement définie aux États-Unis, leur intégration dans le paysage politique est indéniable. Avec l'acceptation croissante des cryptos par des figures influentes et des institutions financières comme BlackRock, il devient difficile d'imaginer que ce sujet disparaisse de l’agenda politique. Pour Trump, la cryptomonnaie est un levier puissant, soutenu par des personnalités influentes comme les frères Winklevoss, Peter Thiel ou encore Elon Musk, dont le rôle dans l'introduction du bitcoin dans les comptes de Tesla en 2021 a marqué un tournant.
L’élection de 2024 pourrait donc être un point d'inflexion pour les cryptomonnaies, faisant basculer cet actif spéculatif dans le champ politique. Selon l’issue du scrutin, les cryptos pourraient se voir octroyer une légitimité politique et économique inédite, changeant radicalement le paysage financier américain et mondial. Si la victoire de Trump semble, aux yeux des adeptes des cryptos, la plus favorable pour leur développement, rien n'est encore joué, et l'impact de cet électorat crypto, bien que significatif, reste à mesurer. Une chose est sûre : les cryptomonnaies ne sont plus un simple outil technique, elles sont désormais une force politique incontournable, prête à transformer l’avenir des États-Unis.
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