Le pangermanisme continental.

Hugues DE MASCAREL

En 1801, l’écrivain allemand Dietrich von Bülow exprima son souhait de créer une union du peuple allemand autour d’un État puissant. Stratège militaire, il voit alors un nécessaire élargissement des frontières afin de constituer un État allemand qui puisse se défendre sur chaque front des menaces étrangères. Pour ce penseur, le Rhin ne constitue pas une frontière naturelle entre la France et l’Allemagne, la rive gauche du Rhin jusqu’à la Meuse doit appartenir aux forces militaires allemandes. La pensée de von Bülow constitue la première théorisation du pangermanisme. De là, de nombreux autres penseurs sous le prisme d’idéologies ou de leurs visions pour l’Allemagne vont développer le pangermanisme continental. Depuis le 19ème siècle, le pangermanisme est un mouvement politique irrédentiste visant l’unité de tous les germanophones d’Europe, ou identifiés comme tels par les penseurs de cette théorie. En effet, cette doctrine s’appuie parfois sur des critères raciaux ou culturels, plus que linguistiques. Nous étudierons cette pensée de sa naissance à son point culminant qu’est le nazisme. De la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à nos jours le pangermanisme détient une mauvaise connotation dans les esprits, tant le nazisme en a fait une figure de proue de sa politique belliqueuse. Aujourd’hui, aucune personne ne revendique une union des peuples allemands tant le sujet est tabou. 

Quelles sont les caractéristiques du pangermanisme continental ? Comment s’est-il appliqué dans l’histoire allemande et comment a-t-il pu influencer cette dernière ? C’est en répondant à ces questions que nous allons voir comment le pangermanisme a influencé l’Allemagne et nombre de ses politiques étrangères en Europe pendant deux siècles. 

1. Enjeux géographiques : La quête de territoires et de frontières solides

                  L'idée de base du pangermanisme est de créer un État-nation allemand unifié, regroupant toutes les populations de culture ou de langue allemande sous un même territoire avec des frontières bien définies. Ce territoire devait non seulement regrouper les Allemands, mais aussi permettre à l'Allemagne de prospérer économiquement et de se protéger militairement. L'Allemagne, au 19ème siècle, était un ensemble de petits États souvent sous l'influence d'autres puissances, comme l'Autriche ou la France. L'un des objectifs majeurs des pangermanistes était de renforcer la sécurité des frontières allemandes pour éviter des invasions et avoir un avantage militaire. Dans ce sens, Dietrich von Bülow proposait que les frontières de l'Allemagne soient pensées pour faciliter la défense et l'attaque. Il plaidait pour l'annexion de petits États voisins, comme le Luxembourg ou l'Alsace, pour créer une "ligne de front" avantageuse. Aussi, Bismarck, chancelier prussien et inventeur de la Realpolitik, voyait l'importance des frontières solides pour protéger l'Allemagne des ambitions étrangères. Il était particulièrement soucieux d'éviter une guerre sur plusieurs fronts (Est avec la Russie, Ouest avec la France, Nord avec l'Angleterre).

Le pangermanisme n'était pas uniquement militaire, il visait aussi à assurer la prospérité économique de l'Allemagne. Certains penseurs voyaient dans l'expansion territoriale une manière d'accéder à des ressources naturelles et à des routes commerciales vitales. L’écrivain Ernst-Moritz Arndt pensait que l'Allemagne avait un droit légitime à posséder la mer du Nord et que la Hollande devait être annexée pour contrôler l'embouchure du Rhin tandis que Paul de Lagarde allait plus loin en demandant un accès à la mer Adriatique, via la ville de Trieste, afin de permettre à l'Allemagne d'avoir de nouveaux débouchés commerciaux sur la Méditerranée.

L'idée principale ici est que certains territoires étaient convoités non seulement pour leur proximité géographique, mais aussi parce qu'ils représentaient des portes économiques importantes (ports, routes commerciales).

2. Enjeux raciaux : L’unification des peuples germaniques et la domination raciale. 

Le pangermanisme, en se radicalisant au milieu du 19ème siècle, a pris une tournure raciale. L'idée principale des théoriciens était que l'Allemagne devait regrouper tous les peuples de race "germanique" dans un même État et conquérir des territoires pour leur expansion. Les penseurs pangermanistes, influencés par le nationalisme et les théories raciales de l'époque, divisaient les peuples européens en trois grandes races : les Latins, les Slaves et les Germains. Selon eux, la race germanique était naturellement supérieure aux autres. Ernst-Moritz Arndt, Friedrich List et d'autres décrivaient la race allemande comme la "race sainte" ou l'héritière des Grecs, possédant les qualités physiques et intellectuelles nécessaires pour dominer l'Europe. Ils pensaient que les autres races, comme les Latins (français) et les Slaves (russes), étaient décadentes ou incapables de travailler et de diriger comme les Allemands. Ce discours racial servait à justifier l'expansion allemande sur les territoires voisins et la soumission ou l'élimination des autres peuples européens.

Un autre objectif central du pangermanisme était de réunir tous les Allemands de l’extérieur (les diasporas) vivant dans d'autres pays (comme en Belgique, Pays-Bas, Suisse, Hongrie, Roumanie) dans un grand État allemand. L'idée était que ces communautés partageaient la même langue, la même culture et les mêmes "traits raciaux" que les Allemands du Reich. Friedrich List proposait l'annexion de pays comme la Belgique, la Suisse et les Pays-Bas, pour "récupérer" ces populations allemandes et ainsi étendre la puissance de l'Allemagne. Otto Richard Tannenberg, lui, parlait de la nécessité de réunir les Allemands dispersés, comme les Alsaciens, ou d'autres populations germanophones, dans un seul et même Empire.

Enfin, le pangermanisme prônait la colonisation de nouveaux territoires à l'Est, où des populations allemandes devraient s'installer pour remplacer les populations locales. C'est l'idée du Lebensraum développée par Friedrich Ratzel, qui a été reprise plus tard par Adolf Hitler. L'idée était que l'Allemagne avait besoin de plus d'espace pour croître, et cela nécessitait la colonisation des pays à l'Est (comme la Pologne ou les pays baltes), et éventuellement leur germanisation (remplacement par des colons allemands).

Les idées pangermanistes ont été appliquées progressivement par différents dirigeants allemands. Bismarck, en réunissant les États allemands dans un Empire allemand en 1871 après la guerre contre la France, a concrètement réalisé une grande partie du rêve pangermaniste d'unification. Adolf Hitler, influencé par les théories raciales et expansionnistes du pangermanisme, a poussé ces idées à leur paroxysme avec la mise en place du Lebensraum à l'Est, la conquête de l'Autriche (Anschluss), et l'annexion de l'Alsace-Lorraine.

Pour conclure, l'influence des théories pangermanistes a conduit l'Allemagne à sous-estimer ses ennemis, comme la France ou la Russie, en les considérant comme des races inférieures, et à adopter des politiques extrêmement violentes et radicales, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Le pangermanisme, avec son obsession pour la race, a non seulement influencé les politiques expansionnistes de l'Allemagne mais a aussi été un facteur de danger pour la paix européenne. Les nationalistes pangermanistes, en prônant la domination raciale et la germanisation forcée des populations conquises, ont ouvert la voie à des politiques meurtrières et destruction massive. Seule la prudence de Bismarck a évité à l'Allemagne certaines catastrophes, car il savait que l'expansion trop rapide ou l'agression de plusieurs pays à la fois risquaient de conduire à un désastre géopolitique. La défaite de 1945 mit fin aux rêves de pangermanisme. Les Allemands d'Europe de l’Est furent expulsés brutalement et l'Allemagne même fut dévastée, puis divisée politiquement entre République fédérale d'Allemagne (ouest) et République démocratique allemande (est). Nationalisme et pangermanisme devinrent des sujets tabous en raison de leur connotation nazie. Mais la réunification du pays en 1990 après la chute du mur de Berlin a ravivé les vieux débats. La peur du passé demeure toutefois forte et explique la crainte que les Allemands eux-mêmes ont d'une “Grande Allemagne”.

Sources

  • Andler Charles, Le Pangermanisme, ses plans d'expansion allemande dans le monde, 1915, 
  • Bismarck, Nouveaux propos de table de Bismarck, 1870,
  • De Lagarde Paul, Über die gegenwärtige Lage des deutschen Reichs, 1875,
  • Jahn Friedrich-Ludwig, Deutsches Volkstum, 1809,
  • Korinman Michel, Deutschland über alles : Le Pangermanisme 1890-1945, Fayard, 1999,
  • Richard Tannenberg Otto, Le Rêve allemand, Hachette, 1916,
  • Von Bülow Dietrich, Geist des neuern kriegssystems, III, 1853,

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