Comment l'Allemagne finance l'affaiblissement du nucléaire français ?

Hugues DE MASCAREL

Le rapport d’avril 2023 du Comité d’Intelligence Stratégique pour la Souveraineté met en lumière une stratégie d’influence discrète mais efficace, par laquelle l’Allemagne chercherait à affaiblir le secteur nucléaire français. Selon cette enquête, deux motivations principales sous-tendent ces actions : une dimension idéologique, héritée d’une forte culture antinucléaire allemande, et une logique économique liée à la perte de compétitivité industrielle consécutive à la sortie précipitée du nucléaire en 2011. Pour mener cette offensive, Berlin mobiliserait un outil d’influence bien rodé : ses fondations politiques, comme Heinrich Böll et Rosa Luxemburg, qui agissent en France et à l’étranger pour influencer l’opinion publique, fragiliser les soutiens au nucléaire et perturber l’approvisionnement de la filière.

Une sortie du nucléaire à haut coût pour l’Allemagne 

En mars 2011, dans un contexte de forte émotion lié à l’accident de Fukushima, la chancelière Angela Merkel annonce l’accélération de la sortie allemande du nucléaire, engageant la fermeture de 14 réacteurs sur 17 d’ici 2021. Cette décision, largement soutenue par une opinion publique imprégnée d’un rejet de l’atome, accentue la politique de transition énergétique amorcée dès les années 1980 sous le nom d’Energiewende. Cependant, cette sortie se révèle rapidement coûteuse : elle provoque une augmentation drastique des prix de l’électricité, particulièrement problématique pour l’industrie allemande, qui représente plus de 20 % du PIB national. Incapable de revenir en arrière et confrontée aux limites des énergies renouvelables en matière de fiabilité et de coût, l’Allemagne comprend que son voisin français, en continuant à produire une électricité bon marché grâce au nucléaire, détient un avantage concurrentiel déterminant. Dès lors, Berlin développe une stratégie visant à neutraliser cet atout français, notamment par des pressions au sein des institutions européennes pour exclure le nucléaire des financements de la transition énergétique, mais aussi en s’appuyant sur ses réseaux d’influence pour faire évoluer l’opinion publique française.

Les fondations politiques allemandes : un outil d’influence extérieure

Les fondations politiques allemandes, ou Stiftungen, sont des structures officiellement indépendantes mais étroitement liées aux partis politiques allemands, et surtout largement financées par l’État fédéral. Leur vocation première est l’éducation politique des citoyens, mais leur action s’étend bien au-delà des frontières nationales. Depuis la Guerre froide, elles jouent un rôle diplomatique informel, en tissant des liens avec les élites locales, en diffusant des récits idéologiques alignés avec leur camp politique, et en préparant l’intégration des pays cibles dans les normes européennes. Ainsi, la fondation Heinrich Böll, rattachée aux Verts, a participé à la création de partis écologistes en Pologne et en Tunisie, tandis que Rosa Luxemburg, proche de Die Linke, milite pour un socialisme démocratique. Ces fondations disposent de moyens importants, opérant dans plus de 60 pays avec des dizaines de bureaux. Elles interviennent parfois en coalition, afin de maximiser leur impact.

Un État fédéral stratège et complice 

L’État allemand assume pleinement l’existence de ces fondations, qu’il considère comme des leviers efficaces de sa politique étrangère. Leurs financements sont votés au Bundestag et font l’objet de contrôles par les ministères de la Coopération et des Affaires étrangères, mais ces contrôles n’ont jamais empêché leurs campagnes antinucléaires en France. Mieux encore, dans certains cas, ces ministères commanditent explicitement des projets alignés avec leurs intérêts, notamment ceux visant à promouvoir une « transformation socio-écologique ». La stratégie est claire : faire porter les messages sensibles par des acteurs tiers, évitant ainsi toute implication directe de l’État fédéral. Cela permet à l’Allemagne d’opérer dans des zones grises, en influençant des dynamiques internes à d’autres pays sans apparaître comme un acteur hostile.

La Fondation Heinrich Böll : influencer l’opinion française

Sur le territoire français, la fondation Heinrich Böll mène une double stratégie. D’une part, elle produit et diffuse de la doctrine antinucléaire. À travers des publications telles que L’Atlas de l’énergie (2018), Le rapport mondial sur les déchets nucléaires (2020) ou encore un dossier avec Alternatives Économiques (2021), elle critique systématiquement le modèle énergétique français, en soulignant les risques financiers, environnementaux et technologiques du nucléaire. Ces publications visent à orienter les décideurs, les journalistes et le grand public contre cette filière. D’autre part, la fondation agit indirectement en finançant des structures relais comme le Réseau Action Climat, fédération comprenant Greenpeace, Les Amis de la Terre ou Sortir du nucléaire. Ces ONG mènent des campagnes d’opinion, produisent leurs propres rapports et organisent des actions médiatiques à fort impact, comme les intrusions dans les centrales. Ces opérations contribuent à ancrer dans l’imaginaire collectif l’idée d’un nucléaire dangereux, dépassé, et coûteux.

La Fondation Rosa Luxemburg : cibler l’amont de la filière

Pendant que Heinrich Böll agit en France, la fondation Rosa Luxemburg opère à l’étranger, en particulier en Afrique, pour fragiliser la chaîne d’approvisionnement du nucléaire français. En 2022, elle publie, avec des ONG partenaires, L’Atlas de l’uranium, un document accusant la France d’entretenir des pratiques néocoloniales dans l’exploitation de l’uranium au Niger. Ce texte accuse Orano, ex-Areva, de pollution massive, de mépris social et de pratiques post-coloniales. L’intention n’est pas tant de faire évoluer la politique française que de retourner les opinions publiques africaines contre la France, et d’encourager une rupture des coopérations minières. Cette offensive, si elle réussissait, viendrait alimenter la thèse défendue dans les publications de Heinrich Böll selon laquelle la filière nucléaire française est fragile, dépendante, et non durable.

Pour aller plus loin 

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