Le Bitcoin en tant que réserve stratégique d’État : objectifs et implications.

Hugues De Mascarel

Depuis sa création en 2009, le Bitcoin s’est imposé comme un actif numérique révolutionnaire, porté par une technologie décentralisée et transparente : la blockchain. Si initialement il était considéré comme un simple instrument spéculatif ou une monnaie d’échange marginale, le Bitcoin attire aujourd’hui l’attention des États, qui y voient une opportunité stratégique.

Le Bitcoin comme réserve stratégique.

Le Bitcoin se distingue par des propriétés uniques. Contrairement aux monnaies fiduciaires, il est décentralisé et sa production est plafonnée à 21 millions d’unités, ce qui en fait un actif intrinsèquement rare. Cette rareté programmée, souvent comparée à l’or, en fait un potentiel « refuge » contre l’inflation. De plus, le Bitcoin est hautement sécurisé, grâce à sa blockchain, et résiste à la censure et à la confiscation, des caractéristiques particulièrement attractives pour des États confrontés à des sanctions internationales.

Pour de nombreux États, le Bitcoin offre une possibilité de diversifier leurs réserves. Alors que les réserves traditionnelles en dollars ou en euros sont soumises à l’inflation et à la déflation et aux politiques monétaires des grandes banques centrales, le Bitcoin, en tant qu’actif décentralisé, constitue une alternative non corrélée. Les États peuvent ainsi se protéger contre la dévaluation de leurs devises et préparer l’avenir dans une économie de plus en plus numérique.

Sur le plan géopolitique, le Bitcoin peut servir d’outil pour contourner les sanctions économiques. L’Iran, par exemple, a encouragé le minage de Bitcoin sur son territoire afin d’éviter le système financier traditionnel dominé par le dollar. De même, le Venezuela a exploré l’utilisation des crypto-monnaies pour contrer les sanctions internationales.

Les stratégies nationales face au Bitcoin.

En 2021, le Salvador est devenu le premier pays au monde à adopter le Bitcoin comme monnaie légale. Cette initiative, dirigée par le président Nayib Bukele, visait plusieurs objectifs stratégiques.

Premièrement, le Bitcoin devait attirer les investisseurs étrangers et stimuler le tourisme, grâce à des mesures incitatives comme l’élimination des taxes sur les gains en capital liés au Bitcoin. Deuxièmement, le Salvador voulait réduire les coûts des transferts de fonds envoyés par la diaspora salvadorienne, qui représente 25% du PIB national. Enfin, Bukele espérait positionner son pays comme un hub mondial pour les crypto-monnaies.

Cependant, cette stratégie a suscité des critiques. Si le gouvernement n’a pas connu de pertes économiques grâce au Bitcoin, enregistrant même des gains significatifs lorsque son prix a atteint 100 000 dollars fin 2024, la population est restée réticente à utiliser une monnaie virtuelle, jugée trop abstraite. Finalement, le projet a été abandonné récemment sous la pression du FMI, qui a exigé son arrêt en échange d’une aide financière de 1,3 Mds de $ pour le pays.

La Chine a adopté une approche très différente. En 2021, elle a interdit le minage de Bitcoin et les transactions en crypto-monnaies, invoquant des préoccupations écologiques et le besoin de contrôler les flux financiers. Cependant, ce pays reste un acteur majeur du secteur : malgré l’interdiction, une part importante du hashrate mondial (càd la puissance de calcul) provient toujours de la Chine. 

Simultanément, la Chine a mis en avant son propre projet de yuan numérique (le e-CNY). Ce projet vise à renforcer la domination du yuan dans le commerce international et à offrir une alternative aux systèmes de paiement traditionnels contrôlés par les États-Unis. En parallèle, certains analystes suggèrent que la Chine pourrait également constituer une réserve stratégique de Bitcoin, en réponse à la politique américaine de diversification de ses actifs stratégiques.  Cette initiative pourrait renforcer sa position économique tout en contestant la domination financière des États-Unis.

Aux États-Unis, le Bitcoin suscite un vif débat. Avec l’élection de Donald Trump, une nouvelle stratégie audacieuse a émergé : remplacer une partie des réserves d’or par du Bitcoin afin de constituer une réserve fédérale stratégique. Cette décision, motivée par la volonté de renforcer l’autonomie financière des États-Unis, repose sur l’idée que le Bitcoin, actif décentralisé et émergent, pourrait servir de levier économique dans les rivalités internationales. L’objectif est également de répondre aux critiques liées à la stabilité des réserves en or tout en diversifiant les actifs stratégiques de la nation.

Perspectives d’une intégration stratégique du Bitcoin.

Adopter le Bitcoin comme réserve stratégique pourrait offrir plusieurs avantages. Les États peuvent diversifier leurs réserves et se protéger contre l’inflation des monnaies fiduciaires. De plus, le Bitcoin peut attirer les entreprises blockchain, créant ainsi des opportunités économiques et technologiques. Enfin, pour les pays confrontés à des sanctions internationales, il offre une alternative viable aux systèmes financiers traditionnels.

Cependant, les risques sont nombreux. La volatilité du Bitcoin représente un danger pour la stabilité économique. Par ailleurs, les questions écologiques liées à sa consommation énergétique suscitent des critiques. Enfin, l’adoption du Bitcoin pourrait entraîner des tensions avec les institutions internationales et les partenaires économiques traditionnels.

Dans un avenir proche, il est probable que des États en développement suivent l’exemple du Salvador pour compenser des faiblesses ou diversité des réserves économiques structurelles. En revanche, les grandes puissances économiques, comme les États-Unis et la Chine, continueront sûrement de privilégier des approches réglementées et le développement de leurs propres monnaies numériques.

L’idée d’utiliser le Bitcoin comme réserve stratégique révèle les transformations profondes de l’économie mondiale. Si des pays comme le Salvador illustrent les opportunités et les risques d’une telle stratégie, la Chine et les États-Unis montrent des approches plus prudentes et nuancées. À terme, la question reste ouverte : le Bitcoin deviendra-t-il un outil incontournable pour les États, ou restera-t-il un actif marginal dans un monde dominé par les monnaies fiduciaires ?

L'accord UE-Turquie de 2016 est l'exemple le plus frappant de cette dynamique. En échange d'une aide financière de 6 milliards d'euros et de promesses de libéralisation des visas pour ses citoyens, la Turquie a accepté de limiter les départs de migrants de son territoire vers l'Europe, en particulier vers la Grèce. Cet accord a permis de réduire considérablement les traversées irrégulières, mais a également révélé la dépendance accrue de l'UE à l'égard d'Ankara pour le contrôle de ses frontières extérieures. Cette relation asymétrique a donné à la Turquie un outil puissant pour exercer une pression sur l'Europe. En 2020, cette instrumentalisation a atteint de nouveaux sommets lorsque le président turc Recep Tayyip Erdogan a décidé d'ouvrir les frontières terrestres avec la Grèce, permettant ainsi à des milliers de migrants de se diriger vers l'Europe. Cette décision, considérée comme une réponse au manque de soutien de l'UE dans la crise syrienne et à la mort de soldats turcs à Idlib, visait à forcer l'Europe à accroître son soutien financier et diplomatique. La stratégie migratoire de la Turquie répond à plusieurs motivations. D'une part, le pays supporte un fardeau économique immense, avec environ 3,6 millions de réfugiés syriens vivant sur son territoire. D'autre part, la Turquie cherche à renforcer sa position dans les négociations avec l'UE, notamment sur des questions telles que son adhésion à l'Union ou son rôle en Méditerranée orientale.
 

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