Hugues DE MASCAREL
Publié le 20.05.2025
1. Les données agricoles, une nouvelle matière première stratégique
L’agriculture est désormais entrée dans l’ère du numérique. Ce tournant technologique transforme les données agricoles en une ressource stratégique de premier ordre, au même titre que les matières premières, les brevets industriels ou les infrastructures critiques. Ces données concernent tous les maillons de la chaîne agroalimentaire : elles incluent des informations précises sur les sols, les conditions climatiques, les types de semences utilisées, les rendements, les pratiques culturales, ou encore les données économiques liées aux circuits de distribution. Générées en masse par des capteurs, satellites, logiciels de gestion ou équipements connectés, elles permettent une agriculture dite « de précision », plus réactive et plus optimisée. Mais cette montée en puissance du numérique rend également l’agriculture dépendante de la maîtrise de ces données, lesquelles deviennent un facteur central de performance, de compétitivité et de résilience du système agricole.
2. Une dépendance technologique porteuse de vulnérabilités
Le développement du Big Data agricole fait émerger un nouveau type de dépendance stratégique. Comme le souligne l’École de Guerre Économique dans son rapport de 2024, la France dépend déjà largement d’acteurs étrangers pour ses outils de collecte, de stockage et d’analyse des données agricoles. Les entreprises qui conçoivent et contrôlent ces technologies – notamment américaines, chinoises ou israéliennes – détiennent une position de force sur l’ensemble de la chaîne de valeur numérique (John Deere, Bayer-Monsanto, Huawei, Netafim). Cette situation place les agriculteurs français dans une position de dépendance technologique vis-à-vis d’algorithmes et d’outils qu’ils ne contrôlent pas, et qui peuvent influencer leurs décisions techniques et économiques. Par ailleurs, les données collectées sont souvent hébergées sur des serveurs étrangers, échappant ainsi à tout contrôle national. Cela soulève des risques de prédation économique, d’utilisation secondaire non maîtrisée, ou d’orientation des marchés en fonction d’intérêts extérieurs aux priorités stratégiques françaises.
3. Le Big Data agricole comme outil de puissance économique mondiale
Au niveau global, les grandes puissances ont pleinement intégré le rôle stratégique du Big Data agricole. L’analyse à grande échelle des données issues de multiples territoires permet de prévoir les récoltes, d’anticiper les tendances de marché, de rationaliser les chaînes logistiques ou encore d’orienter les investissements agro-industriels. Cette capacité à agréger et exploiter les données constitue un levier puissant d’influence économique. Elle permet de peser sur les prix des matières premières, de cibler des acquisitions foncières, ou d’optimiser l’offre en fonction de la demande mondiale. Dans ce contexte, ne pas maîtriser ses propres données agricoles revient à renoncer à une part de sa souveraineté décisionnelle. L’État qui n’a pas accès à ses propres ressources numériques agricoles se prive d’une vision stratégique sur son système de production, sur ses dépendances et sur sa capacité à ajuster son modèle en fonction des contraintes géopolitiques, économiques ou environnementales.
4. L’enjeu d’une souveraineté numérique agricole
Face à cette nouvelle donne, la question d’une souveraineté numérique agricole se pose avec acuité. Plusieurs initiatives françaises et européennes, comme la charte Data-Agri ou certaines plateformes de données mutualisées, visent à encadrer l’usage des données agricoles et à rassurer les producteurs sur leur traitement. Néanmoins, ces démarches restent volontaires et peinent à s’imposer face aux standards dominants développés à l’étranger. Le défi est donc de bâtir une gouvernance publique des données agricoles qui garantisse la sécurité, l’accès, la transparence et la valorisation de ces données dans un cadre national ou européen. Cela suppose de renforcer les capacités de stockage souverain, d’encourager l’adoption de solutions numériques locales et d’instaurer un droit clair à la propriété et à la maîtrise des données issues des exploitations agricoles. En d’autres termes, il s’agit de traiter les données agricoles comme un bien commun stratégique, au service de la souveraineté alimentaire, de l’autonomie technologique et de la compétitivité durable de la filière agricole française.
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