Marc-Antoine ANDREANI
« En tant qu'érudit, écrivain, historien et philosophe, James Burnham a profondément influencé la façon dont l'Amérique se perçoit et perçoit le monde.... La liberté, la raison et la décence ont eu peu de plus grands champions au cours de ce siècle. Et j'ai une dette personnelle envers lui, car tout au long de ces années passées à voyager sur le circuit de la purée de pommes de terre, je vous ai beaucoup cité » Ceci sont les mots de Ronald Reagan lorsque ce dernier lui donne la médaille de la liberté le 23 février 1983. Il était normal que Reagan et Burnham se retrouvent pour célébrer leur combat commun contre le bloc de l’Est car pour bon nombre de penseurs et d’historiens, Burnham est l'homme qui a vaincu le communisme en jouant un rôle clé dans la victoire de la guerre froide. Il est le père de la doctrine Reagan. La théorie de James Burnham a fait l'objet de nombreuses discussions, mais peu de gens se sont encore penchés sur ses implications idéologiques, c'est-à-dire sur le type de vision du monde, le type de croyances et la structure sociale qui prévaudraient probablement dans un État à la fois invincible et en état permanent de "guerre froide" avec ses voisins.
Mais avant d’être un des penseurs qui a vaincu le communisme, James Burnham a eu un passé de communiste, mais avec l’arrivé de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide, Burnham a très vite changé de bord politique. En effet, les graines de son évolution intellectuelle de trotskiste à guerrier froid anticommuniste ont été plantées pendant la période entre sa rupture avec le communisme et le début de la guerre froide.
Il écrit à l’époque : « "L'économie marxienne me semble pour l'essentiel soit fausse, soit obsolète, soit dénuée de sens dans son application aux phénomènes économiques contemporains. Les aspects de l'économie marxienne qui conservent leur validité ne me semblent pas justifier la structure théorique de l'économie."
La guerre froide se traduit par un affrontement idéologique (propagande dans les deux camps) et par des conflits localisés, comme à Cuba ou à Berlin. Le président américain Harry S. Truman présente devant le Congrès sa doctrine du containement, qui vise à fournir une aide financière et militaire aux pays menacés par l’expansion soviétique, tels que la Grèce et la Turquie. Cette doctrine, réaction d’un monde libre face à l’agression soviétique, justifie l’ingérence des États-Unis dans les affaires des pays démocratique. Truman rompt ainsi avec la politique de son prédécesseur, Franklin D. Roosevelt, et redéfinit la politique extérieure des États-Unis. L’isolationnisme, laisse place à l’interventionnisme. De son côté, l’URSS et les délégués des partis communistes se réunissent pour créer la doctrine Jdanov en réponse à la Doctrine Truman. À cet instant, nous sommes au début de la guerre froide, les États Unis entame leur lutte contre le communisme.
C'est à cette époque que Burnham a formulé sa "science de la politique" et a commencé à voir le monde à travers un prisme géopolitique. et va donc théoriser plusieurs concepts pendant cette periode pour abattre l’URSS, tout en essayant de comprendre quels étaient les grands objectifs de ces derniers durant la seconde moitié du 20ème siècle.
Containment or Liberation ?
En 1944, un an après avoir écrit The Machiavellians et trois ans seulement après The Managerial Revolution, Burnham utilisera sa "science de la politique", sa compréhension de la nature du communisme soviétique et sa connaissance des réalités géopolitiques mondiales pour préparer une analyse des objectifs soviétiques d'après-guerre pour l'Office of Strategic Services.
Burnham pense que la politique étrangère de Staline, est guidée par une "vision géopolitique" qui correspond aux théories et aux concepts du grand géographe britannique, Mackinder. « De cette guerre, Staline a traduit dans une perspective politique réaliste le rêve de la géopolitique théorique : la domination de l'Eurasie ». Empruntant la terminologie de Mackinder, Burnham prévient que, "partant de la région centrale de l'Eurasie, la puissance soviétique... s'étend vers l'extérieur, à l'ouest en Europe, au sud au Proche-Orient, à l'est en Chine, léchant déjà les rives de l'Atlantique, de la mer Jaune et de la mer de Chine, de la Méditerranée et du golfe Persique.. "
Les objectifs de la politique étrangère soviétique tels qu'il les voyait étaient les suivants : La consolidation politique de l'Eurasie sous le contrôle soviétique ; L'affaiblissement de tous les gouvernements non communistes ;Un empire mondial contrôlé par les Soviétiques.
Dans The Struggle for the world, on y trouve pour la première fois aux États-Unis et en Occident une analyse large et complète du début de la guerre froide. Au cours des cinq années suivantes, Burnham développe et affine son analyse dans deux autres ouvrages, The Coming Defeat of Communism et Containment or Liberation ?
Dans ces ouvrages, James Burnham va en plus d’expliquer le contexte mondial va donner des propositions pour répondre efficacement à la menace soviétique afin d’obtenir la victoire et ne pas se contenter simplement d’une politique d’endiguement.
Il exposait de manière assez détaillée une autre grande stratégie qu'il appelait "la politique de libération". Cette politique, écrit Burnham dans The Struggle for the World, doit chercher à "pénétrer la forteresse communiste", à "inverser la direction de la poussée en provenance du Heartland", à "saper le pouvoir communiste en Europe de l'Est, dans le nord de l'Iran, en Afghanistan, en Mandchourie, dans le nord de la Corée et en Chine". Les États-Unis devraient chercher à exploiter les faiblesses économiques et culturelles soviétiques. Les puissances occidentales devraient lancer une offensive de propagande mondiale contre les puissances communistes. Il prédit que "les communistes seront renvoyés sur la défensive politique. Les murs de leur forteresse stratégique eurasienne commenceront à s'effondrer ». Les difficultés internes de l'Union soviétique, économiques et sociales, seraient alimentées par un riche milieu dans lequel elles pourraient se multiplier.
Dans The Coming Defeat of Communism (1950), Burnham se montre plus énergique et plus précis dans ses propositions politiques. Il appelle l'Amérique à adopter une politique de guerre politique et subversive offensive contre l'Empire soviétique. L'Amérique devrait, d’après lui, viser à accroître les problèmes économiques soviétiques, à stimuler le mécontentement des masses soviétiques de l'orbite soviétique, à faciliter "l'esprit de résistance" des nations satellites asservies de l'empire, à fomenter des divisions au sein de l'élite soviétique et à recruter derrière le rideau de fer des "cadres de la libération". Il était cependant trop réaliste pour s'attendre à la réalisation complète de chaque objectif américain et occidental dans la lutte contre le communisme. Burnham énonce donc cinq conditions spécifiques qui permettraient aux États-Unis de revendiquer la victoire dans la guerre froide sans vaincre militairement les Soviétiques: La fin de l'appareil subversif communiste mondial, la fin de l'offensive de propagande soviétique à l'échelle mondiale, le retrait de l'armée et des services de sécurité soviétiques aux frontières soviétiques d'avant 1939, la pleine souveraineté des territoires conquis ou annexés par les Soviétiques depuis 1939, et la modification de la structure gouvernementale soviétique pour permettre des déplacements sans restriction, une presse libre et l'inspection internationale des installations scientifiques et militaires.
Un demi-siècle plus tard, la plupart des conditions de victoire de Burnham sont en place ou en passe de l'être. Dans « Containment or Liberation ? » Burnham identifie l'Europe de l'Est comme la cible cruciale de la stratégie américaine. La politique américaine, écrit-il, doit passer de la protection de l'Europe occidentale à la libération de l'Europe orientale. "Une stratégie dont l'Europe de l'Est serait le centre géopolitique - l'Europe du rideau de fer à l'Oural - servirait au mieux l'objectif américain", expliquait-il.
Le Heartland : Clé de la domination Soviétique
Burnham décrivait l'Union soviétique de 1945 comme contrôlant le vaste intérieur de l'Eurasie que Mackinder appelait le Heartland du "World-Island" (la masse terrestre eurasienne- africaine). La position soviétique, écrit Burnham, « est... la position la plus forte possible sur terre". Il n'existe aucune position géographique sur terre qui puisse être comparée de quelque manière que ce soit à la base principale soviétique ». Le Heartland, explique-t-il, est "la position stratégique la plus favorable du monde". À partir de sa base du Heartland, l'Union soviétique était en mesure de s'étendre en Europe, au Moyen-Orient et en Asie de l'Est et du Sud. Les États-Unis et l'Amérique du Nord, selon Burnham, constituent une île située au large des côtes de la grande masse terrestre eurasienne. Géopolitiquement, les États-Unis étaient à l'Eurasie ce que la Grande-Bretagne était à l'Europe - une île face à une grande masse continentale. Mackinder et Spykman ont tous deux fait cette analogie précise. Pour Burnham le Heartland contrôle l'ensemble de la masse terrestre eurasienne et le continent Africain. Selon Burnham, si une puissance réussissait à organiser le Heartland et ses barrières extérieures, cette puissance serait certaine de contrôler le monde..
Selon lui, les faits géographiques donnent encore à l'Union soviétique un avantage incomparable dans la lutte d'après-guerre, car "du point de vue géographique, l'Eurasie stratégique encercle l'Amérique et la submerge, malgré les avancées technologiques et l’arme atomique. Burnham décrivait la position géopolitique soviétique comme un "ensemble d'anneaux concentriques autour d'un cercle intérieur " Le cercle intérieur de Burnham était l'Union soviétique. Le premier anneau concentrique contenait les Kouriles, le sud de l'île de Sakhaline, la Mongolie, les régions turques, la Bessarabie et la Bukovine, la Moldavie, l'Ukraine, la Pologne orientale, la Prusse orientale, les États baltes et les régions finlandaises - des territoires déjà absorbés ou sur le point de l'être par la puissance soviétique. Le deuxième anneau comprenait la Corée, la Mandchourie, la Chine du Nord, le Moyen-Orient, les Balkans, l'Autriche, l'Allemagne, la Pologne, la Scandinavie et la Finlande des territoires à portée de la domination soviétique. Le troisième anneau comprend la Chine centrale et méridionale, l'Italie, la France les petits États d'Europe occidentale, et l'Amérique latine - des zones où l'influence ou la neutralisation soviétique était possible. Le quatrième et dernier cercle comprenait l'Angleterre et le Commonwealth britannique ainsi que les États- Unis et leurs dépendances - des territoires formant la base rivale du pouvoir mondial. Ce cadre géographique constituait l'environnement d'un affrontement entre deux grands centres de pouvoir ou, comme Burnham les a appelés dans The Managerial Revolution, des super-États. Le choc, selon Burnham, se déroule "simultanément et intégralement le long de lignes politiques, économiques, idéologiques, sociologiques et militaires". Il "affecte et est affecté par des événements dans toutes les parties du monde", selon Burnham, et est à somme nulle par nature. Une défaite américaine ou occidentale est un gain soviétique ou communiste, et vice- versa.
De l'Endiguement à l'Offensive Totale
De 1945 à 1952, les États-Unis ont progressivement réagi aux empiètements soviétiques par la politique d'endiguement créée par George F. Kennan.
Burnham pensait que cette stratégie, même réussie, mènerait à la victoire soviétique. Il identifiait quatre défauts : un manque d'unité, une approche trop militaire, une posture défensive, et l'absence d'objectif clair de destruction du communisme. Selon lui, l'endiguement laissait l'initiative aux communistes, et tant qu'ils consolidaient leurs conquêtes, leur victoire mondiale devenait inévitable.
La chose la plus importante que Burnham ait réussie est une stratégie pour gagner la guerre froide. L'essentiel de cette stratégie consistait à mener une guerre politique, psychologique et économique contre l'Empire soviétique et, par conséquent, à affaiblir et finalement à briser le contrôle soviétique sur l'Europe centrale et orientale. Les éléments clés de cette stratégie étaient les suivants : Une offensive idéologique et de propagande contre le pouvoir soviétique, l'aide aux groupes de dissidents et de résistance au sein de l'Empire soviétique, l'utilisation de la puissance économique et technologique des États-Unis pour mettre à mal la vulnérabilité de l'économie soviétique, l'utilisation de la guerre psycho politique pour encourager la peur et les divisions parmi l'élite soviétique, Utiliser le commerce et d'autres armes économiques pour affaiblir davantage l'économie soviétique, En forçant les Soviétiques à se mettre sur la défensive sur le plan géopolitique.
Bien qu'il n'y ait aucune preuve que Reagan ou ses conseillers aient consciemment cherché à appliquer la stratégie précise de "libération" de Burnham, la stratégie de Reagan consistait en des politiques qui, dans un sens fondamental, étaient remarquablement similaires aux propositions de Burnham. La "Doctrine Reagan" a placé les Soviétiques sur la défensive géopolitique dans le monde entier. Moins d'un an après le départ de Reagan, le mur de Berlin s'effondre, les nations d'Europe de l'Est sous l’emprise de l’URSS se révoltent et l'empire soviétique est en voie de dissolution. Burnham, en fin de compte, avait raison depuis le début. L'endiguement ne suffit pas pour gagner la guerre froide. Il fallait une stratégie géopolitique offensive pour saper la puissance soviétique. Et, comme l'avait soutenu Burnham, l'Europe de l'Est était la clé́ de la victoire.
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