Hugues DE MASCAREL
La guerre cognitive et l’intelligence économique sont les deux facettes d’un même enjeu : la maîtrise de l’information comme outil de domination stratégique. Sous le prisme de l’intelligence économique, l’information est utilisée comme une arme dans la guerre cognitive, visant à orienter les perceptions, les décisions et les comportements des acteurs économiques et politiques.
Le contrôle de l’information et l’influence
L’intelligence économique repose sur la collecte et la protection de l’information, mais aussi sur des stratégies d’influence comme le lobbying, la diplomatie économique ou la gestion de l’image. La guerre cognitive s’inscrit pleinement dans cette logique : elle ne se contente pas de diffuser une information, elle structure un récit pour façonner la perception du réel. Comme l’écrivait Victor Hugo, « Une traduction est une annexion. » De la même manière, imposer son vocabulaire, c’est annexer la pensée de l’autre, façonner son cadre mental et, par extension, sa manière d’agir. Utiliser un terme comme "Indo-Pacifique" au lieu d'"Asie-Pacifique", ce n'est pas juste une question de géographie : c'est une manière d'imposer un cadre politique, stratégique et idéologique. De là, la carte mentale de la région est redessinée, incluant l’Inde dans la dynamique stratégique et soulignant son rôle de démocratie face à la Chine.
Une langue ne sert pas seulement à communiquer, elle est avant tout un outil pour penser. Son usage est profondément politique : « Le choix des mots n'est jamais neutre : le mot crée le réel, il le rend vivant et présent. Le mot impose ses espaces, son histoire, la façon de concevoir. Dire, c'est créer un monde et faire entrer les autres locuteurs dans ce monde. » Dans un contexte de concurrence économique et politique, cette capacité à orienter la pensée devient un levier de pouvoir déterminant.
La manipulation des perceptions
L’intelligence économique ne se limite pas à la veille et à la protection des données stratégiques : elle inclut des pratiques offensives et défensives face aux campagnes de désinformation. La guerre cognitive, quant à elle, va plus loin : elle agit directement sur les biais cognitifs des individus pour façonner leur vision du monde.
Les mots sont des armes. Qualifier une entreprise de « leader du marché » ou de « monopole prédateur » ne produit pas la même réalité. Comme l’illustre la guerre cognitive, quiconque impose ses mots et ses concepts a déjà gagné la guerre. De la même manière, les termes « terroriste » et « résistant » varient d’un groupe à l’autre pour accorder ou retirer une légitimité. Dans l’économie comme en politique, celui qui impose la terminologie impose aussi le cadre d’action.
Une guerre économique par les mots et les récits
Dans un contexte de guerre économique, les acteurs mobilisent la guerre cognitive pour affaiblir leurs concurrents et influencer les marchés. L’intelligence économique devient alors un rempart en analysant et répondant aux offensives informationnelles. Les méthodes incluent : la diffamation d’une entreprise concurrente via des campagnes médiatiques négatives ; la modification de la perception des consommateurs à travers des récits biaisés ; l’influence des décideurs politiques et économiques par des stratégies de lobbying sophistiquées.
Bien avant la formation d’une ligne de front, la première lutte est celle du langage et des idées, où chaque acteur y tente de s’imposer. En édictant un récit dominant, les acteurs modèlent la réalité et enferment leurs adversaires dans un encerclement cognitif.
De l’écran à la ligne de front : les nouvelles stratégies de guerre numérique
La révolution technologique a donné à la guerre cognitive des armes nouvelles redoutables, portés par les réseaux sociaux et algorithmes. L’intelligence économique doit désormais intégrer la veille numérique, le big data et l’intelligence artificielle pour décrypter et anticiper les offensives adverses. Celui qui maîtrise l’influence sur les plateformes numériques impose sa version de la réalité, car c’est là que se façonnent aujourd’hui les décisions collectives.
L’utilisation des biais cognitifs et des stimuli environnementaux permet de manipuler les perceptions au-delà du simple cadre de la guerre de l’information. Il ne s’agit plus seulement d’imposer un discours, mais de manipuler les cadres mentaux sous-jacents qui déterminent la façon dont les individus prennent des décisions.
Soft power, autonomie cognitive et souveraineté
Les entreprises et les États utilisent la guerre cognitive pour asseoir leur soft power. En imposant un cadre narratif dominant, ils créent une autonomie cognitive : ils façonnent l’univers mental des individus de sorte que ceux-ci pensent et agissent selon leurs intérêts, parfois sans même en être conscients. Dans cette logique, l’adoption de concepts et de termes étrangers devient un acte stratégique : « En employant des mots étrangers, ce sont les concepts de l'autre que l'on fait sien. » À terme, ceux qui perdent la bataille des mots perdent aussi celle de l’action.
Dans un monde où la bataille se joue autant sur le terrain économique que dans l’univers des idées, maîtriser ces dynamiques est un impératif. La souveraineté économique ne se limite pas à la maîtrise des industries stratégiques, elle passe aussi par une souveraineté cognitive : celui qui contrôle les mots contrôle les esprits, et donc le monde.
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