Adrien BRICHE
Entreprise française intégrée à la Base industrielle et technologique de défense (BITD), Éolane occupe une position stratégique dans le champ des services de fabrication électronique (EMS Electronic Manufacturing Services). Sa mission dépasse la simple production : elle couvre l’ensemble du cycle de vie du système électronique, de l’étude amont à la maintenance, en passant par la conception, l’industrialisation, l’intégration et le prototypage. Cette capacité d’intervention globale en fait un maillon industriel essentiel, en particulier dans les domaines de la défense, de l’aéronautique, des télécommunications, du médical et de l’automobile.
Éolane est d’autant plus stratégique qu’elle évolue dans un secteur où la France, et plus largement l’Europe, accusent un retard significatif face à la domination des grands groupes américains, chinois et sud-coréens. Sur les vingt plus grandes entreprises mondiales d’électronique, dix-sept sont asiatiques ou nord-américaines. Dans ce paysage, Éolane fait figure de bastion industriel national. Elle est l’une des alternatives européennes capables de développer des systèmes électroniques critiques, un enjeu fondamental à l’heure où les capacités de production dans ce domaine deviennent des leviers de puissance et d’autonomie stratégique. Ce retard européen s’explique par une coordination politique et industrielle insuffisante à l’échelle européenne. Un exemple illustre bien ce cas, il s’agit du cas de ASML. Lorsque l’entreprise néerlandaise, seule au monde à maîtriser la lithographie EUV, s’est retrouvée au cœur de tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis, l’Union européenne n’a pas été en mesure de formuler une réponse coordonnée, laissant les décisions stratégiques se prendre sous influence américaine
Aujourd’hui dans un contexte de fragmentation géopolitique, de relocalisation stratégique des chaînes de valeur et de réaffirmation des souverainetés technologiques, l’affaire Éolane (fusion acquisition) illustre les contradictions de souverainetés et de logiques de marché majeures auxquelles sont confrontées les puissances européennes. Le cas de l’entreprise Siltronic Allemande dont le rachat par le groupe taïwanais GlobalWafers a été bloqué, en 2021 ou encore le cas de la tentative de vente de Photonis, spécialisé en optique, à l’américain Teledyne, qui a été stoppée en 2020 par l’État au nom de la protection des technologies sensibles illustrent parfaitement ce propos. Sous la pression croissante des enjeux géopolitiques et de la sécurité technologique, plusieurs États européens sont contraints de réévaluer les limites de leur ouverture économique. En effet ces cas traduisent les dilemmes de gouvernance auxquels les démocraties européennes sont confrontées sans toujours disposer d’instruments adaptés ou d’une doctrine cohérente à l’échelle continentale. La vente d’Eloane représente une tension propre au tensions internationales contemporaines.
Effectivement cette entreprise vient d’être placée en redressement judiciaire. En 2024, malgré son classement comme troisième entreprise française du secteur selon la Banque de France, elle ne se positionne qu’à la 8ᵉ place à l’échelle européenne. Cette situation révèle une double fragilité : d’une part, celle de l’entreprise elle-même, soumise à une pression concurrentielle forte et à des déséquilibres économiques ; d’autre part, celle du modèle français de souveraineté industrielle, encore insuffisamment consolidé par des instruments publics adaptés. Là où d’autres États mobilisent activement des outils de souveraineté économique, la France demeure souvent en retrait. Plusieurs puissances industrielles ont mis en place des dispositifs robustes pour protéger ou consolider leurs filières stratégiques. En Suède, par exemple, le gouvernement détient une participation directe dans Saab, groupe de défense emblématique, afin d’assurer la continuité des programmes militaires nationaux tels que les avions de chasse Gripen ou les systèmes de surveillance. En Chine, l’État a structuré plusieurs fonds souverains dédiés, comme le China National Integrated Circuit Fund, pour financer massivement l’essor de ses champions nationaux du semi-conducteur, notamment SMIC, Hua Hong ou Yangtze Memory Technologies. De son côté, l’Allemagne a investi plusieurs milliards d’euros dans des groupes technologiques stratégiques tels qu’Infineon ou Bosch, dans le cadre du programme européen IPCEI sur les semi-conducteurs. Ces exemples illustrent une convergence : les grandes puissances, qu’elles soient libérales ou autoritaires, n’hésitent plus à intervenir directement pour structurer, protéger et projeter leur puissance industrielle dans les domaines clés de l’économie technologique contemporaine. La France doit faire de même dans le cas d’Eloane, l’enjeu dépasse ici la seule survie d’un groupe industriel. Il s’agit d’une question de souveraineté. Envisager la vente d’Éolane à un acteur étranger, dans un contexte de redressement judiciaire, revient à ouvrir la porte à un risque de perte de contrôle sur une part de la chaîne de production électronique nationale. Cela soulève des inquiétudes majeures, notamment sur la sécurité des approvisionnements, la confidentialité des technologies embarquées, la dépendance industrielle croissante, et la perte de compétences stratégiques.
Éolane est une entreprise française spécialisée dans une multitude de services, couvrant l’ensemble du cycle de vie des systèmes électroniques complexes, de l’ingénierie à la production, en passant par les tests, l’intégration et le maintien en condition opérationnelle. Son expertise s’étend sur plusieurs secteurs stratégiques à haute exigence technologique.
D’abord dans le domaine industriel, Éolane développe des solutions électroniques embarquées pour l’automatisation des processus, et les interfaces homme-machine. Dans le secteur médical, Éolane conçoit des dispositifs électroniques à haute fiabilité pour les équipements de diagnostic et d’imagerie. Pour le secteur ferroviaire, l’entreprise produit des cartes électroniques, intégrées dans les systèmes de signalisation, de contrôle, et de sécurité embarquée. Dans les télécommunications, Éolane intervient dans la conception d’amplificateurs et de sous-ensembles destinés aux réseaux fixes et mobiles, incluant des applications dans les infrastructures critiques (réseaux sécurisés, communication optique, 5G industrielle). C’est néanmoins ses activités dans le domaine de l’aéronautique l’énergie et de la défense qui semble intéresser les potentiels acheteurs. En effet les innovations et produits proposés par Eloane sont cruciaux et vitaux pour la souveraineté française.
D’abord dans le domaine de l’énergie, cette dernière développe des « Energy accumulator ». Cette innovation permettrait de palier à un problème qui se veut persistant dans la démocratisation à grande échelle des énergies renouvelables, le stockage de cette dernière. En effet le principal ennuie avec l’énergie électrique c’est qu’elle se stocke difficilement, le système développé par Eloane pourrait être révolutionnaire dans la mesure où ce dernier pourrait permettre le stockage et donc une utilisation plurielle et plus large des systèmes alimentés par l’électricité.
Ensuite dans le domaine de la défense Eloane permet la fabrication d’élément indispensable à notre pleine souveraineté. Premièrement nous pouvons citer le cas des radars, là ou la plupart de nos alliés européens comme l’Allemagne, la Pologne, la Roumanie ou l’Espagne se sont tournés vers l’allié américian pour se fournir en technologies militaire la France elle peut compter sur ses entreprises de défense comme Thalès ou encore safran qui eux-mêmes se fournissent chez Eloane pour ce genre de technologies. Il en est de même pour les systèmes de localisation qui sont développés par Eloane. Ces composantes sont des facteurs nécessaire à notre pleine souveraineté dans ce domaine, en témoigne le blocage par les américains des système de radar et cartographique des F-16 prêté à l’Ukraine. Si ces composantes peuvent être désactivées à distance et compromettre toute une opération alors il est bon de demeurer pleinement maitre de la chaine de production de l’innovation à l’utilisation et ce que permet Eloane à son échelle sur et sur des domaines précis et indispensable.
Bien qu’il n’y ait pas de mécanisme de désactivation à distance des avions américains, la dépendance aux États-Unis pour le soutien logistique et les mises à jour logicielles signifie que ces derniers peuvent indirectement influencer l’utilisation de ces appareils. Cette réalité souligne l’enjeu stratégique de la souveraineté technologique, particulièrement dans les domaines critiques de la défense. C’est ici qu’intervient une entreprise comme Éolane, dont le rôle devient central dans l’écosystème de souveraineté industrielle et militaire.
Éolane est un facteur importants du tissu industriel de défense européen car en plus de son implication dans le développement de radars et de système cartographique elle joue un rôle clef dans le développement de la technologie Optronic vision, une technologie de pointe qui combine l’optique et l’électronique pour produire des systèmes de perception ultra-performants, essentiels pour la guerre moderne. Cette optronique est notamment au cœur des capacités de détection, de ciblage, de surveillance et de traitement de données embarquées sur les drones, les missiles intelligents, les casques de combat nouvelle génération et les véhicules autonomes. En clair, sans cette technologie, il devient presque impossible de rivaliser avec les grandes puissances dans la guerre dite « réseau-centrée », où l’information et la capacité de voir sans être vu font la différence. Développer cette technologie en France, avec des composants français, des logiciels français et une propriété intellectuelle nationale, c’est nous garantir que nos systèmes d’armes ne pourront pas être désactivés, espionnés ou bridés par une puissance étrangère.
Mais l’ambition d’Éolane ne s’arrête pas là. L’entreprise Eloane sous sa filière nanolane est également engagée dans le développement de nanotechnologies appliquées à la défense, un secteur encore plus stratégique et sensible. Ces technologies à l’échelle du milliardième de mètre permettent de concevoir des capteurs miniaturisés, des systèmes embarqués ultra-compacts capables d’être intégrés à des équipements comme des satellites ou même des dispositifs portés directement sur le corps du soldat. Avec la nanotechnologie, il devient possible de réduire considérablement le poids et l’énergie consommée par les dispositifs de combat, tout en augmentant leur puissance, leur connectivité et leur autonomie ce qui de cette technologie une avancée pionnière dans les systèmes de défense futurs. Être souverain sur ce terrain, c’est ne pas dépendre de circuits de production en Chine ou aux États-Unis, c’est maîtriser la conception des composants les plus sensibles, c’est aussi protéger nos données militaires et notre indépendance décisionnelle en cas de conflit. En intégrant ces technologies dans des filières 100% françaises, Éolane nous offre une assurance stratégique : celle de ne pas être à la merci d’un embargo, d’un bug logiciel volontaire ou d’un désaccord géopolitique majeur. En somme, dans un monde où les conflits deviennent toujours plus technologiques, Éolane ne représente pas seulement un acteur industriel, mais un rempart essentiel à notre liberté d’action militaire et stratégique
Dans un communiqué publié les CSE (comités sociaux et économiques) d’Éolane France, les représentants du personnel du sous-traitant français s’inquiètent d’un « démantèlement d’un acteur majeur de l’industrie française » depuis que le fonds d’investissement Hivest, actionnaire majoritaire d’Éolane depuis 2017, a décidé de « vendre à la découpe » ce groupe de sous-traitance. Ce projet de vente à la découpe représente bien plus qu’une opération financière : c’est un acte à la stratégie douteuse, qui met à mal la souveraineté technologique et militaire française. Parmi les repreneurs potentiels, l’acheteur le plus probable est une entreprise suisse « CISOR », issue d’un pays historiquement neutre, n’appartenant à aucune alliance militaire ou stratégique comme l’OTAN ou l’Union européenne. Cette réalité géopolitique pose un problème de fond : comment justifier la cession d’une entreprise aussi stratégique à un acteur extérieur à tout cadre de coopération sécuritaire structuré ?
L’enjeu dépasse ici les logiques classiques de marché. Confier à une entreprise d’un État tiers n’ayant pas d’obligation de solidarité militaire ou politique avec la France, l’accès à des technologies sensibles comme peuvent l’être l’optronique, les systèmes radar, les composants de drones ou les nanotechnologies de défense, c’est ouvrir un angle mort géopolitique dans notre architecture de sécurité nationale. Cela signifie potentiellement perdre le contrôle sur des technologies critiques tout en permettant leur réutilisation, leur détournement par un potentiel ennemi.
La vente à la découpe signifie par ailleurs une perte massive de souveraineté industrielle : chaque segment cédé à un acteur isolé, potentiellement étranger, participe à la désagrégation d’un savoir-faire, à la dissémination de nos compétences clés, et à l’impossibilité de maintenir une chaîne de valeur complète, cohérente et maîtrisée. Là où Éolane offrait une vision systémique, du prototypage à la maintenance, nous risquons de nous retrouver face à une mosaïque éclatée d’intérêts privés, dont aucun ne servira les impératifs de sécurité nationale.
Cette situation illustre une crise majeure du modèle français de souveraineté industrielle. Face à des concurrents internationaux qui n’hésitent pas à protéger leurs fleurons stratégiques par tous les moyens, de la Suède à la Chine en passant par l’Allemagne, la France ne peut plus rester passive. Il est urgent que l’État assume ses responsabilités et bloque cette vente comme il l’a fait en 2020, ou, a minima, qu’il engage une prise de participation stratégique, via la BPI ou d’autres instruments d’investissement souverain, pour préserver l’intégrité de ce joyau industriel.
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