Adrien BRICHE
Depuis 2018 et le premier mandat Trump, les États-Unis ont entamé une transformation radicale de leur politique commerciale, abandonnant le multilatéralisme à outrance pour une logique de confrontation tarifaire. Ce tournant, sous la bannière de "America First", s’est intensifié depuis son retour à la Maison Blanche. À travers une succession de hausses de droits de douane, l’administration américaine a ciblé tour à tour la Chine, l’Union européenne, le Canada, le Mexique et d’autres partenaires commerciaux avec lesquels ils étaient déficitaire. Les objectifs affichés sont clairs, protéger l’économie nationale, réindustrialiser le pays et réduire la dépendance à la Chine. À la lumière de la timeline produite par la Tax Foundation et des analyses d’acteurs majeurs, retraçant cette guerre commerciale, nous vous proposons ici une étude approfondie de l’impact de ces politiques sur l’économie américaine et mondiale, sur les chaînes de valeur, les consommateurs et les institutions multilatérales.
Une stratégie tarifaire graduelle.
La timeline du site Tax Foundation montre comment la politique tarifaire américaine s’est construite en vagues successives, marquant chaque étape de tensions économiques croissantes. Le point de départ est la Section 232, adoptée en mars 2018, imposant des droits de douane de 25% sur l'acier et de 10% sur l'aluminium sous prétexte de sécurité nationale. Rapidement, ces mesures s’étendent via la Section 301, celle-ci faisant référence à la possibilité pour le gouvernement des États-Unis via le USTR (l’Office du Représentant au Commerce) de pouvoir enquêter et sanctionner des pratiques commerciales étrangères jugées injustes ou discriminatoires à l’égard des entreprises américaines. Cette section permet de justifier des pratiques commerciales dites déloyales, principalement ciblant la Chine sans passer par l’autorité de l’OMC. De 2018 à 2020, les États-Unis imposent des tarifs sur 370 milliards de dollars d'importations chinoises, provoquant une réponse en miroir de Pékin.
En 2024, Trump relance la guerre commerciale : les taux atteignent jusqu’à 145% sur certains produits chinois, les exemptions de droits douaniers pour l'UE, le Royaume-Uni et le Japon sont levées, et des menaces de 25% sont annoncées sur les importations canadiennes et mexicaines en février 2025. BNP Paribas note que cette politique protectionniste est devenue une doctrine, non plus conjoncturelle mais structurelle, ancrée dans une stratégie industrielle de souveraineté. Toutefois, cette stratégie ignore les interdépendances économiques enracinées dans le tissu productif mondial. La politique tarifaire américaine, en particulier celle menée depuis 2018 et relancée avec vigueur en 2025, repose sur une vision de l’économie mondiale comme un champ de concurrence directe entre nations, où le protectionnisme pourrait isoler des secteurs stratégiques pour les "sauver" de la compétition étrangère. Toutefois, cette stratégie fait abstraction de la réalité du système économique contemporain, l’interdépendance généralisée des chaînes de valeur. Depuis les années 1990, le commerce international ne consiste plus simplement à vendre des produits finis d’un pays à l’autre. Il s'agit d'un commerce de tâches, dans lequel chaque pays contribue à une partie spécifique du processus de production
Des effets négatifs immédiats sur les entreprises américaines
L’un des premiers effets des hausses tarifaires est une augmentation massive du coût des intrants pour les entreprises américaines. La plupart des secteurs industriels comme l’automobile, l’électronique, la construction et l’énergie dépendent très largement d’importations pour leurs composants. Un rapport de la BNP souligne que ces hausses tarifaires vont forcer les entreprises à payer plus cher leurs matières premières, ce qui réduit leur marge, ralentit les investissements et fragilise leur compétitivité internationale. Cela touche d’autant plus les PME, incapables de relocaliser ou de diversifier leurs fournisseurs.
D’après Statista, l’effet net sur l’économie américaine est lourd : une perte de 57 milliards de dollars et près de 600 000 emplois détruits ou non créés. Les gains limités dans certains secteurs protégés sont largement annulés par les effets secondaires dans les secteurs utilisateurs. Par exemple, dans l’industrie automobile, l’augmentation du prix de l’acier impacte à la fois la production et les ventes, forçant des délocalisations vers le Mexique ou l’Asie. On peut dans ce cas citer le cas du célèbre et controversé cyber truck Tesla, ce dernier avait été annoncé lors de sa présentation à 40 000 € pour l’entrée de gamme. Aujourd’hui ce véhicule est largement laissé de côté notamment à cause des prix à la vente deux fois plus importants que ceux annoncés c’est-à-dire entre 70 000 € et 80 000€.
Des chaînes de valeur mondiale profondément perturbées
La mondialisation productive repose sur la fragmentation des chaînes de valeur. Des pièces de voiture peut être conçue au Japon, assemblée au Mexique et intégrée à un modèle vendu sur le marché des États-Unis. Les tarifs douaniers viennent briser cette logique qui reposait sur la théorie des avantages comparatifs démontré par Riccardo et ses successeurs Eli Hecksher et Bertil Ohlin qui eux ont théorisés l’avantage factoriel. Les entreprises réorganisent leurs flux, contournent les zones tarifaires les plus contraignantes et se délocalisent en masse vers le Vietnam, la Malaisie, l’Inde ou vers des zones franches et hubs logistiques comme la zone franche de Shannon ou de VSIP (Vietnam Singapore Industrial Parks) et d’autres échappant aux droits américains. Cela a pour effet une désorganisation des chaînes logistiques et une augmentation des coûts de coordination. Comme le souligne Vincent Vicard dans Vatican News, on observe une désintégration productive, qui affaiblit la spécialisation mondiale et risque de ralentir l’innovation. Dans les cas extrêmes, cette reconfiguration est un "découplage" économique, les flux commerciaux entre les États-Unis et la Chine se contractent, tandis que la Chine redirige ses exportations vers l’Europe.
Des tensions géopolitiques et une remise en cause du multilatéralisme
La stratégie tarifaire américaine a provoqué des réactions immédiates de ses partenaires. Dès 2018, l’Union européenne met en place des contre-mesures ciblées sur des produits emblématiques : bourbon, motos Harley-Davidson, jeans Levi’s. En 2025 l’UE envisage une taxation sur les produits agricoles, pharmaceutiques ou technologiques américains. Cette confrontation affaiblit ou annihile les négociations bilatérales comme la TAFTA qui s’articulait autour des USA et de l’Union européenne qui prévoyait d’être la plus grande zone de libre-échange du monde et affaiblit aussi les réformes de l’OMC.
L’Organisation mondiale du commerce est ainsi court-circuitée : les différends ne sont plus arbitrés selon des règles multilatérales, mais via des représailles bilatérales. Les États-Unis donnent le ton, et d’autres les suivent : l’Inde, la Chine, la Turquie ont toutes introduit des barrières tarifaires en réponse.
Un nouveau paradigme commercial : vers le protectionnisme systémique ?
Ce que révèlent les données de la Tax Foundation, c’est que le protectionnisme américain est devenu structurel. L’administration Trump 2 ne considère plus les tarifs comme des outils temporaires de pression, mais comme des instruments permanents de politique industrielle et géopolitique. Cela marque un changement de paradigme : on passe du libre-échange au "commerce armé", où les relations commerciales servent d’instruments de rapport de force. Pour BNP Paribas, cette tendance pourrait ralentir la croissance mondiale et réduire les gains de productivité au niveau global. Les entreprises anticipent désormais une instabilité permanente du cadre commercial, ce qui freine leurs investissements et donc à terme la croissance des pays industrialisés.
Les droits de douane américains, instaurés dans une logique de protection économique, ont déclenché une véritable révolution commerciale mondiale. S’ils ont permis de mettre en lumière certaines vulnérabilités comme la dépendance à la Chine ou la désindustrialisation, ils ont également produit des effets économiques pervers, des tensions politiques et une instabilité systémique. La timeline de la Tax Foundation montre une montée en puissance des mesures tarifaires, étape par étape, jusqu’à une situation de guerre économique mondiale en 2025. À long terme, ces politiques pourraient non seulement affaiblir l’économie américaine, mais aussi redessiner l’architecture du commerce international, au détriment de la coopération et de l’intégration économique.
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