Le Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle sème le débat sur l’avenir de la régulation et de l’innovation.
Léopold CHIPOT
Les 10 et 11 février 2025, la capitale française a accueilli le Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle, un rendez-vous stratégique destiné à asseoir la position de la France et de l’Union européenne dans la course mondiale à l’IA. Dans un contexte international marqué par des tensions croissantes, cette rencontre a souligné à la fois l’ampleur des rivalités entre grandes puissances et l’urgence de se doter de cadres adaptés pour encadrer un secteur en perpétuelle expansion.
Un sommet sur fond de rivalités géopolitiques et de compétitions économiques
L’événement a cristallisé la confrontation entre la Chine, les États-Unis et l’Europe. Alors que Pékin continue d’étonner avec sa technologie DeepSeek R1, conçue pour offrir des performances élevées à des coûts moindres, Washington répond par le projet Stargate, un plan de 500 milliards de dollars sur cinq ans destiné à consolider son avance en matière d’IA. À cette occasion, le vice-président américain J.D. Vance a martelé la volonté de son pays de « s’assurer que la technologie américaine reste la meilleure au monde afin de rester le partenaire de choix pour les États et les entreprises à l’étranger ». Il précise aussi « Pour ce faire et pour instaurer cette confiance, nous avons besoin de régimes réglementaires qui encouragent la création de technologies, plutôt que de régimes qui l’en empêchent » cela traduit de l’approche américaine en matière de marché, mais également de la guerre commerciale entre Chine et Etats-Unis.
Face à cette émulation sino-américaine, l’Union européenne s’efforce de tracer sa propre voie. Ursula von der Leyen a insisté sur la « nécessité impérieuse » pour l’UE de prendre l’ascendant technologique, estimant que cette occasion « demeure à portée de main ». Néanmoins, l’arsenal réglementaire européen, souvent perçu comme rigoureux, pourrait bien brider cette ambition naissante.
Vitrine mondiale pour les États et les acteurs de l’IA
S’il était initialement présenté comme un espace de dialogue international, le Sommet a rapidement pris l’allure d’une tribune où chaque puissance exposait ses objectifs. Au cours de la séance plénière, les interventions de figures diverses – Emmanuel Macron, Narendra Modi, J.D. Vance, Ursula von der Leyen ou encore Pharrell Williams – ont chacune défendu une vision propre de l’intelligence artificielle. A l’image du discours du co-président du sommet et Premier Ministre Indien Narendra Modi qui vanta à la séance plénière les capacités de l'infrastructure numérique publique de son pays destiné aux 1,4 milliards d’Indiens et conçu à un “faible coût”.
Un engagement financier d’envergure pour la France
Soucieuse de combler son retard, la France a annoncé un investissement de 109 milliards d’euros pour soutenir la recherche et l’infrastructure en IA, notamment la création de data centers de pointe indispensables aux traitements de vastes quantités de données. Dans la foulée, l’UE a dévoilé son programme « EU AI Champions Initiative», doté de 200 milliards d’euros supplémentaires, destiné à stimuler la collaboration entre institutions et industriels. Derrière ces montants spectaculaires, un revers de la médaille demeure : l’échec récent de Lucie, l’IA française conçue pour concurrencer OpenAI et DeepMind, fermée après seulement quelques jours en ligne. Malgré ce faux départ, l’Europe espère redorer son blason face aux investissements titanesques engagés par la Chine et les États-Unis.
La délicate frontière entre sécurité et liberté
L’IA n’est pas épargnée par ce débat sans fin de la balance entre sécurité et liberté. Un débat qui s’est rapidement imposé, encadrement ou progrès technologique ? L’Union européenne, au nom d’un « devoir de protection », milite pour une IA fiable, respectueuse des libertés, et rigidement encadré tandis que les États-Unis défendent un modèle plus permissif, promu au nom de la croissance et de la libre entreprise. Dans son discours, J.D. Vance a fustigé les normes européennes visant à limiter la désinformation et à combattre les biais algorithmiques, estimant qu’elles risquent de freiner l’élan créatif américain. Les institutions européennes, pour leur part, se disent prêtes à assumer cet encadrement renforcé, conscientes que certaines innovations pourraient être ralenties dans l’intérêt collectif.
L’Europe peut-elle vraiment s’imposer dans cette course mondiale ?
L’Union dispose d’atouts non négligeables : une impulsion politique sans précédent, incarnée par l’annonce d’un plan ambitieux sur les supercalculateurs, ainsi qu’un soutien industriel grandissant grâce à « EU AI Champions » et à l’implication de consortiums mixtes réunissant États et entreprises privées. Néanmoins, la tâche s’annonce ardue face aux sommes considérables que déploient Pékin et Washington. La question persiste : l’UE réussira-t-elle à se hisser au rang d’acteur incontournable, ou continuera-t-elle à subir les stratégies technologiques conçues en dehors de ses frontières ?
Les avancées majeures de ce Sommet
Parmi les avancées marquantes de ce Sommet, près de soixante pays, dont la Chine, l’Inde et la France, ont ratifié une déclaration soutenant une IA « ouverte, inclusive et éthique », tout en appelant à éviter la mainmise d’un nombre restreint d’acteurs. Les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël ont toutefois choisi de maintenir leurs propres lignes directrices. Dans le même élan, la Coalition pour une IA soutenable, lancée conjointement par la France et l’ONU, aspire à limiter l’empreinte écologique de l’intelligence artificielle, même si les géants du secteur n’y sont pas encore affiliés. Une alliance visant à protéger l’enfance a également vu le jour, réunissant dix nations ainsi que plusieurs grands noms de la tech, dont OpenAI et Google. Enfin, l’initiative « Current AI », portée par neuf pays, des associations et des entreprises, entend développer une IA open source d’intérêt général, soutenue par un fonds initial de 400 millions d’euros et visant à atteindre 2,5 milliards à moyen terme.
Le Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle a permis de mesurer l’ampleur des ambitions portées par la France et l’Union européenne, tout en exposant de profondes dissensions quant au modèle de gouvernance à privilégier. La quête de leadership technologique est loin de se limiter à la performance pure de l’IA : elle touche aussi à la capacité des États à coopérer, à canaliser des financements d’envergure et à imposer leurs règles sur la scène internationale. Dans ce contexte, l’Europe devra faire la preuve qu’elle peut tenir la distance face à des adversaires disposant de moyens considérables et d’une approche parfois plus libre, parfois plus directive, pour rester un acteur central de cette révolution technologique planétaire.
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