Safra : le bus à hydrogène français repris par Wanrun, un groupe chinois.

Marc-Antoine ANDREANI

Publié le 28.05.2025

Safra, pionnier français du bus à hydrogène

Safra est une entreprise française créée en 1955 et basée à Albi, dans le sud de la France. Au fil des décennies, Safra s’est spécialisée dans les transports publics et notamment dans la rénovation de bus, de rames de métro ou de tramway. Elle est aujourd’hui surtout connue pour être le seul constructeur français de bus et d’autocars à hydrogène.

En effet, à partir des années 2010, Safra a misé sur la technologie de l’hydrogène pour développer des bus propres et en 2018, elle a lancé le Businova H2, qui est le premier bus à hydrogène construit en France. Ce bus utilisait une pile à hydrogène fournie par Michelin-Symbio et pouvait déjà transporter près d’une centaine de passagers. L’entreprise n’innove pas seulement avec de nouveaux véhicules : depuis 2021, elle développe aussi le rétrofit de bus et autocars diesel en bus à hydrogène (remplacement du moteur diesel par une motorisation électrique alimentée par une pile à combustible). Cette solution permet de convertir d’anciens bus polluants en véhicules propres au lieu de les mettre à la casse, ce qui illustre l’engagement de Safra pour la mobilité durable.

Un bus à hydrogène, qu'est-ce et pourquoi est-ce important ?

Un bus à hydrogène est un bus électrique qui produit lui-même son électricité à bord grâce à une réaction chimique entre de l’hydrogène et l’oxygène de l’air, dans un appareil appelé pile à combustible. En termes simples, ce bus fait le plein d’hydrogène dans des réservoirs, et sa pile à combustible utilise cet hydrogène pour générer de l’électricité qui fait tourner le moteur électrique. L’énorme avantage de cette technologie est son impact environnemental très faible : un bus à hydrogène n’émet que de la vapeur d’eau (et un peu de chaleur), sans rejeter de gaz polluants ni de CO₂ dans l’atmosphère. Ces bus sont considérés comme l’une des solutions prometteuses pour la mobilité durable en plus de pouvoir faire une recharge de batteries bien plus rapide qu’une recharge de batteries pour un bus électrique classique.

Safra en difficulté : pourquoi fallait-il un repreneur ?

Safra, malgré ses innovations dans la fabrication de bus à hydrogène, a rencontré d'importantes difficultés financières au cours des dernières années. La production de bus à hydrogène étant coûteuse et le marché encore en phase de développement, les commandes sont restées limitées. Bien que Safra ait vendu quelques bus, comme les Businova H2 dans plusieurs villes françaises, et ait reçu une cinquantaine de commandes pour son modèle Hycity, ces ventes n’ont pas suffi à couvrir les coûts de développement et de production. Entre 2021 et 2024, la société a accumulé des pertes d’environ 10 millions d'euros par an, malgré des levées de fonds pour maintenir ses activités. Le chiffre d'affaires de l'entreprise a également chuté, passant de 12 millions d'euros en 2022 à 7 millions en 2023, ce qui indique un ralentissement considérable de son activité.

En février 2025, Safra a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce d'Albi, en raison de sa cessation de paiements. L'entreprise devait alors soit trouver de nouveaux financements, soit être reprise par un investisseur pour relancer l'activité. Plusieurs repreneurs potentiels se sont manifestés, dont Thierry Torti Holding (TTH), un groupe français, un groupe belge (CBM) et le groupe industriel chinois Wanrun. Jusqu'à la dernière minute, l'offre de TTH semblait être la préférée, soutenue par les salariés et les élus locaux, qui y voyaient une opportunité de maintenir l'« âme » locale de l'entreprise. TTH proposait un carnet de commandes rempli de 450 millions d’euros et un plan de recrutement pour atteindre 200 salariés à Albi d’ici 2029.

Cependant, c’est l’offre de Wanrun qui a été retenue par le tribunal de commerce d'Albi le 20 mai 2025. Wanrun avait déposé sa proposition dès fin avril, tandis que l'offre améliorée de TTH est arrivée trop tard, le 17 mai. L'offre de Wanrun a convaincu les juges grâce à ses garanties financières immédiates, son engagement à reprendre 120 des 169 salariés de Safra et un investissement initial de 7 millions d’euros pour relancer l’activité. Cette solution a été considérée comme la plus fiable pour apurer les dettes de l'entreprise et lui offrir un nouveau départ.

Wanrun, qui est principalement actif dans le domaine des matériaux pour batteries et des panneaux solaires, a dorénavant un pied dans le secteur de la mobilité propre, avec l’ambition de se diversifier et de devenir un acteur mondial de ce domaine.  Pour Wanrun, racheter Safra est aussi une occasion de pénétrer le marché européen de l’autobus propre en profitant de l’expérience et de la réputation d’une entreprise locale déjà bien implantée. 

Un enjeux stratégiques pour la France et l’Europe

Le rachat de Safra par Wanrun soulève des questions plus larges sur la souveraineté industrielle et la dépendance technologique. Safra était la seule entreprise française construisant des bus à hydrogène. La voir passer sous contrôle étranger, alors que l’hydrogène est considéré comme un secteur stratégique pour l’avenir, a suscité de l’inquiétude. Certains y voient un risque de perte de contrôle sur une filière d’avenir : si les décisions se prennent depuis la Chine, la France et l’Europe pourraient devenir dépendantes d’un acteur non-européen pour les bus à hydrogène, un peu comme elles le sont déjà pour certaines batteries ou panneaux solaires. Un responsable syndical local (CGT du Tarn) a même dénoncé « une braderie de l’industrie française », redoutant que Wanrun finisse par fabriquer les bus en Chine puis ne fasse qu’assembler ou homologuer les véhicules en France pour profiter des labels européens. Cette crainte n’est pas sans fondement historique : dans la région, on se souvient de l’exemple de l’usine SAM en Aveyron, rachetée par un groupe chinois en 2017 avec des promesses d’investissement, mais qui a fermé deux ans plus tard faute de concret. Personne ne souhaite que Safra subisse le même sort.

Du côté des élus politiques français, la décision du tribunal a également fait débat. De nombreux responsables locaux d’Occitanie – région où se trouve Albi – auraient préféré une solution française pour Safra. Jean-Louis Chauzy, président du CESER (Conseil économique, social et environnemental régional), a averti qu’il valait mieux « un solide ancrage territorial » et a mis en garde contre le choix d’intérêts chinois. 

Cependant, tout le monde ne voit pas ce rachat d’un mauvais œil. Pour de nombreux salariés de Safra, la priorité était de sauver l’entreprise et le maximum d’emplois. Or, sur ce point,*l’offre de Wanrun était la plus avantageuse, car elle préserve 120 postes et évite une faillite pure et simple de l’entreprise. Un représentant des employés s’est même dit satisfait, estimant que « l’offre chinoise est la plus intéressante parce que c’est celle qui garde le plus d’emplois ». La maire d’Albi, Stéphanie Guiraud-Chaumeil, a reconnu que ce choix, bien que « sous pavillon étranger », restait « le plus protecteur pour l’emploi » localement. Avec les responsables de la communauté d’agglomération, de la région Occitanie et même de l’État, elle a assuré qu’ils seraient vigilants quant à l’avenir industriel du site. Leur objectif commun est de maintenir les savoir-faire locaux et la souveraineté industrielle du territoire malgré ce changement de propriétaire.

Le rachat de l'entreprise française Safra par le groupe chinois Wanrun a suscité des réactions partagées. Pourtant, pour de nombreux salariés de Safra, l'enjeu principal était de sauver l'entreprise et les emplois. L’offre de Wanrun a été perçue comme la plus avantageuse, car elle permet de préserver 120 postes, évitant ainsi une faillite qui aurait mis en péril la société.

Un représentant des employés a exprimé sa satisfaction, soulignant que « l’offre chinoise est la plus intéressante parce que c’est celle qui garde le plus d’emplois ». Même la maire d'Albi, Stéphanie Guiraud-Chaumeil, a reconnu que bien que le choix soit sous pavillon étranger, c'était « le plus protecteur pour l’emploi localement ». Elle, ainsi que les responsables de la communauté d'agglomération, de la région Occitanie, et même de l’État, ont promis de rester vigilants concernant l'avenir industriel du site.

L’objectif des autorités locales est de préserver les savoir-faire et la souveraineté industrielle de la région, malgré ce changement de propriétaire. Wanrun, pour sa part, a assuré qu'il maintiendrait le site de production à Albi et qu’il souhaitait conserver l’ensemble des activités de Safra. L’entreprise chinoise a souligné que le projet n’était pas de « démonter » Safra pour transférer sa technologie en Asie, mais plutôt de faire croître l'entreprise sur place en France, en visant le marché européen.

Ce sont là les intentions affichées par Wanrun, mais seul l'avenir dira si l'entreprise tiendra ses promesses et réussira à faire de Safra un acteur majeur de la mobilité hydrogène.

Crédit photo : commons.wikimedia.org

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